Textes

Les orphelines du mont luciole

PRESSE


LE FIGARO

"CRITIQUE - À travers ce beau roman, où se mêlent le mystérieux et le sacré, l'auteur nous interroge sur nos histoires et nos héritages." ... par

Develey, A. (2023, 19 janvier). Les Orphelines du mont Luciole, d’Isabelle Rodriguez : les testaments trahis. LEFIGARO. ... > texte intégral <


LE PROGRES

Correspondant, D. G. N. J. (2023, 11 janvier). La Mornantaise Isabelle Rodriguez publie son premier roman. ... > texte intégral <

TM, P. R. P. (2023, 1 mars). Isabelle Rodriguez : « Mon refuge d’enfant, c’était mon village et son histoire »  ... > texte intégral <


SUD OUEST

De Montvert-Chaussy, I. (2023, 14 février). Littérature : Isabelle Rodriguez ravive la mémoire des « Orphelines du mont Luciole » . SudOuest.fr.  ... > texte intégral < 


LE MONDE

Cosnard, D. (2023, 18 février).  « Les Orphelines du mont Luciole » , d’Isabelle Rodriguez : noms et merveilles. Le Monde.fr ... > texte intégral <


RADIO


Emission RCF Lyon du 4 Janvier 2023 par Marie Leynaud ... > Lien vers l'émission <


Emission RCF du Vendredi 10 Mars 2023 par Laetitia De Traversay ... > Lien vers l'émission <


Emission  CITERADIO du 2 Février 2023 par Guillaume Colombat ... > Lien vers l'émission <


REPORTAGE


France 3 Rhône-Alpes, édition locale du 2 mars 2023  ... > Lien du reportage à 4'30 <


"Les fabulées"


Par Camille Paulhan

Je crois pouvoir dire que j’ai croisé au cours de mon enfance un certain nombre de femmes dont les attitudes m’ont profondément marquée. Pour certaines, cela dépassait de beaucoup le culot, l’audace et l’absence de soumission aux conventions sociales. L’une collectionnait les cartes postales publicitaires de préservatifs, volait dans les magasins en se faisant passer pour sénile et jurait comme un charretier. Une autre, promise à un avenir de femme d’agriculteur, avait choisi elle-même son mari en lorgnant les jeunes hommes à la messe puis tenu d’une main de fer le café de son village pendant la Seconde Guerre. Une autre encore avait publié anonymement un livre érotique aux relents sadiens qui avait fait grand bruit. Une dernière prétendait que la politesse ne servait à rien, se sustentait de barres chocolatées sans en proposer à quiconque, et piquait sans vergogne les billets de banque du Monopoly dans le dos des enfants. L’histoire de ces vieilles dames parfaitement indignes n’a pas été écrite, et ne le sera sans doute jamais. Pour la petite fille que j’étais, il me semblait pourtant que ces femmes avaient déjà, par leur attitude, écrit leur légende, et qu’il me faudrait sans doute un jour les raconter en n’hésitant pas à les transformer en personnages de fiction.
Isabelle Rodriguez s’est mise en quête de ces récits oubliés, de ces femmes dont on n’a pas écrit l’histoire parce qu’on les pensait folles, parce qu’elles étaient dans l’ombre d’hommes qui avaient dirigé des états ou mené des guerres, parce qu’on les avait considérées comme un groupe social plutôt que comme des individues à part entière. La princesse allemande Alexandra de Bavière fut une de ces femmes, dont la carrière de traductrice et de poétesse fut quelque peu éclipsée par la croyance qu’elle développa peu après ses vingt ans. Convaincue qu’elle avait ingéré un piano à queue en verre – je suppose plutôt petit dans l’enfance, grandissant avec le temps comme le nénuphar à l’intérieur du poumon de Chloé dans L’Écume des jours de Boris Vian – elle avait organisé sa vie pour éviter de le briser par des gestes brusques. On imagine bien que l’instrument de musique, gobé par on ne sait quelle magie par l’héritière, aurait pu se mettre en marche de façon impromptue aux heures indues de la nuit, pour jouer (pourquoi pas) du Chopin.

   

 

Isabelle Rodriguez ne le sait pas mais cette évocation éveille en moi d’autres récits, d’autres inquiétudes aussi, qui s’entremêlent sans hiérarchie : c’est l’éclat de verre qui s’infiltre dans l’oeil de Kay au début de La Reine des Neiges d’Andersen et que j’ai cru moi aussi à plusieurs reprises reconnaître lorsque je sentais un grain de poussière sous ma paupière. C’est aussi le fantasme d’André Breton dans Nadja, la maison de verre, le lit de verre aux draps de verre, dont la simple lecture me faisait frissonner. Ce sont les sœurs dont l’histoire tragique, qui m’a hantée toute l’adolescence, est imaginée par Réjean Ducharme au cœur de L’Avalée des avalés, qui brisent un soir la vitre de leur chambre et la mastiquent toute la nuit, et que l’on retrouve au petit matin les lèvres ensanglantées. C’est un alliage infernal que j’avais fait entre le Cendrillon de Perrault où les pantoufles sont de verre, et celui de Grimm, où les sœurs se tailladent les extrémités des pieds pour réussir à enfiler les précieux chaussons. Tous ces souvenirs littéraires épars ne sont autre chose que des paraboles de la fragilité, de l’incertitude, et de la difficulté d’être au monde. C’est là également tout l’enjeu du travail d’Isabelle Rodriguez : il n’est pas
tant question de proposer des biographies extatiques que de se mettre dans les pas de figures féminines tiraillées entre les faits et la fable. Et, par la force de l’écriture, non pas les faire entrer dans l’Histoire, mais tout simplement leur en donner une qui soit bien la leur.

 

   

   

 




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